Face à la présence de squatteurs dans un logement, les propriétaires se retrouvent souvent démunis et confrontés à une situation juridiquement complexe. La récupération d’un bien immobilier occupé illégalement nécessite le respect d’une procédure stricte, encadrée par la loi française qui tente d’équilibrer le droit de propriété et la protection des occupants. Les récentes évolutions législatives ont modifié les délais et les recours possibles, rendant cette matière particulièrement technique. Ce guide détaille les étapes à suivre pour récupérer légalement un logement squatté, depuis le constat initial jusqu’au débarras final, en passant par les procédures judiciaires et administratives applicables.
Qualification juridique du squat et cadre légal applicable
Avant d’envisager toute action, il convient de qualifier juridiquement la situation d’occupation sans droit ni titre. Le Code pénal français, notamment en son article 226-4, définit le squat comme l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Cette infraction est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
La loi ASAP du 7 décembre 2020 puis la loi anti-squat du 27 juillet 2023 ont considérablement renforcé les droits des propriétaires. Le délai de flagrance, durant lequel le propriétaire peut solliciter l’évacuation forcée sans passer par une procédure judiciaire, a été étendu à 72 heures après l’entrée dans les lieux. De plus, la notion de domicile a été élargie pour inclure les résidences secondaires et les logements vacants.
Distinction entre squat et occupation sans droit ni titre
Il est fondamental de distinguer le squat d’autres situations juridiques proches :
- Le squat concerne l’occupation illicite d’un logement sans autorisation du propriétaire
- L’occupation sans droit ni titre peut résulter d’une situation initialement légale (comme un bail arrivé à terme)
- Le maintien dans les lieux après expiration d’un bail ou résiliation
Cette distinction détermine la procédure applicable et les recours possibles. Si l’occupant était initialement titulaire d’un contrat de bail, même expiré, la procédure d’expulsion classique s’applique, avec les protections afférentes comme la trêve hivernale. En revanche, pour un squat caractérisé, des procédures accélérées sont désormais prévues.
La jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme a progressivement précisé les contours de cette notion, en mettant en balance le droit de propriété et le droit au logement. Dans l’arrêt Winterstein contre France (2013), la CEDH a souligné que toute personne risquant de perdre son logement doit pouvoir faire examiner la proportionnalité de cette mesure par un tribunal indépendant.
Les tribunaux français examinent plusieurs facteurs pour caractériser un squat : l’effraction, la dégradation des lieux, l’absence de titre d’occupation, la connaissance par l’occupant de son absence de droit, et parfois la vulnérabilité des occupants. Ces éléments détermineront l’application des procédures d’urgence ou ordinaires.
Premières démarches à effectuer face à un logement squatté
Dès la découverte de l’occupation illicite, le propriétaire ou le bailleur doit agir rapidement pour préserver ses droits et optimiser les chances de récupération rapide du bien. La réactivité constitue un facteur déterminant dans le traitement juridique et administratif du dossier.
Constatation et documentation de l’occupation illicite
La première étape consiste à documenter précisément la situation :
- Prendre des photographies de l’extérieur du logement montrant les signes d’effraction
- Recueillir les témoignages des voisins sur la date approximative d’entrée des squatteurs
- Rassembler les preuves de propriété (titre de propriété, taxe foncière)
Il est fortement recommandé de ne pas tenter de pénétrer dans le logement par la force ou de changer les serrures sans décision de justice, sous peine de s’exposer à des poursuites pour violation de domicile. La Cour de cassation a en effet rappelé dans plusieurs arrêts que la voie de fait est interdite, même pour un propriétaire souhaitant récupérer son bien.
Si l’occupation date de moins de 72 heures, la procédure administrative accélérée peut s’appliquer. Il est donc primordial d’agir sans délai et de pouvoir prouver la date d’entrée des occupants dans les lieux.
Dépôt de plainte et saisine du préfet
Le dépôt de plainte constitue une étape incontournable. Il doit être effectué auprès du commissariat de police ou de la gendarmerie du lieu où se trouve le logement squatté. La plainte doit mentionner :
– L’infraction de violation de domicile (article 226-4 du Code pénal)
– Les éventuelles dégradations constatées (article 322-1 du Code pénal)
– Les circonstances de la découverte du squat
– Toute information permettant d’identifier les occupants
Parallèlement, dans le cadre de la procédure administrative, le propriétaire peut saisir le préfet du département par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette demande doit être accompagnée :
– De la preuve de propriété du logement
– Du procès-verbal de constat d’huissier si possible
– De la copie de la plainte déposée
– D’une demande formelle de mise en œuvre de la procédure administrative d’évacuation forcée
La loi anti-squat de 2023 a renforcé les pouvoirs du préfet qui peut désormais, après mise en demeure des occupants, ordonner l’évacuation forcée dans un délai de 24 heures à 72 heures, y compris pour des résidences secondaires ou des logements vacants. Cette procédure s’applique sans considération de la trêve hivernale.
Il est recommandé de faire appel à un huissier de justice pour dresser un constat officiel de l’occupation illicite. Ce document aura une valeur probante supérieure devant les tribunaux et pourra accélérer les procédures administratives et judiciaires.
Procédures judiciaires d’expulsion des squatteurs
Lorsque la procédure administrative n’est pas applicable ou n’a pas abouti, le recours à la voie judiciaire devient nécessaire. Plusieurs options s’offrent au propriétaire selon l’urgence de la situation et les caractéristiques du squat.
La procédure en référé devant le tribunal judiciaire
Le référé constitue la voie procédurale privilégiée en raison de sa relative rapidité. Régi par les articles 808 et suivants du Code de procédure civile, il permet d’obtenir une décision provisoire dans un délai de quelques semaines à quelques mois. Pour engager cette procédure :
- Le propriétaire doit mandater un avocat (obligatoire devant le tribunal judiciaire)
- Une assignation est délivrée aux occupants par huissier de justice
- L’audience se tient généralement dans un délai de 2 à 8 semaines
Le juge des référés évaluera l’existence d’un « trouble manifestement illicite » ou d’un « dommage imminent » justifiant l’expulsion. La preuve de la propriété et de l’occupation sans droit ni titre devra être apportée. Le juge peut accorder des délais aux occupants (de 3 mois à 3 ans selon l’article L.412-1 du Code des procédures civiles d’exécution), mais la loi anti-squat de 2023 a considérablement limité cette possibilité pour les squatteurs, la ramenant à un maximum de 2 mois.
Si l’identité des occupants est inconnue, l’assignation peut être délivrée contre « occupants de chef ». Cette procédure, bien que plus complexe, permet d’obtenir un titre exécutoire contre toute personne présente dans les lieux.
L’ordonnance sur requête en cas d’urgence exceptionnelle
Dans certaines situations présentant une urgence particulière ou nécessitant la surprise (risque de dégradation massive, danger pour la sécurité publique), le propriétaire peut recourir à la procédure d’ordonnance sur requête prévue par l’article 493 du Code de procédure civile.
Cette procédure présente plusieurs particularités :
– Elle se déroule sans débat contradictoire préalable
– La décision est rendue rapidement, parfois en quelques jours
– L’exécution peut être immédiate, par huissier assisté de la force publique
La jurisprudence reste toutefois restrictive quant à son application. La Cour de cassation exige que soient démontrées des circonstances rendant impossible le recours au référé contradictoire. Dans un arrêt du 4 juillet 2019 (pourvoi n°18-17.119), elle a précisé que « le recours à l’ordonnance sur requête n’est justifié qu’en cas de circonstances exigeant que les mesures ne soient pas prises contradictoirement ».
L’exécution de la décision d’expulsion
Une fois la décision d’expulsion obtenue, le propriétaire doit la faire signifier aux occupants par huissier de justice. Ce dernier délivrera un commandement de quitter les lieux qui octroie généralement un délai de deux mois aux occupants pour partir volontairement.
Si les occupants ne quittent pas les lieux dans le délai imparti, l’huissier peut procéder à l’expulsion forcée avec le concours de la force publique. Cette dernière doit être sollicitée auprès du préfet si l’huissier rencontre une résistance. Le refus ou l’inertie du préfet peut engager la responsabilité de l’État et ouvrir droit à indemnisation.
Il convient de noter que la trêve hivernale (du 1er novembre au 31 mars) ne s’applique pas aux situations de squat caractérisé depuis la loi ASAP de 2020, ce qui constitue une avancée significative pour les propriétaires. En revanche, elle continue de s’appliquer aux situations d’occupation initialement légitime (ancien locataire maintenu dans les lieux par exemple).
Gestion des biens abandonnés par les squatteurs
Après l’expulsion des occupants illégaux, le propriétaire se trouve souvent confronté à la présence de biens meubles laissés sur place. La gestion de ces effets personnels est strictement encadrée par la loi et ne peut être improvisée sous peine d’engager la responsabilité civile, voire pénale, du propriétaire.
Inventaire et conservation temporaire des biens
Lors de l’expulsion, l’huissier de justice doit établir un inventaire détaillé des biens trouvés dans le logement. Ce document, crucial pour la suite de la procédure, doit mentionner :
- La nature des objets (meubles, électroménager, vêtements, documents administratifs)
- Leur état apparent de conservation
- Leur valeur estimée quand cela est possible
Conformément à l’article L433-1 du Code des procédures civiles d’exécution, les biens qui ne sont pas emportés par les occupants lors de l’expulsion doivent être conservés en lieu sûr pendant un délai d’un mois. Le propriétaire peut être désigné comme gardien des biens, ou ces derniers peuvent être confiés à une entreprise de garde-meubles.
Il est fortement recommandé de photographier l’ensemble des biens inventoriés pour se prémunir contre d’éventuelles accusations de détérioration ou de vol. Cette précaution peut s’avérer déterminante en cas de contestation ultérieure.
Procédure légale d’abandon et de destruction des biens
À l’issue du délai légal d’un mois, si les occupants expulsés n’ont pas réclamé leurs biens, plusieurs situations peuvent se présenter selon la valeur des objets :
Pour les biens de valeur marchande, l’article L433-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit qu’ils doivent être remis à l’administration des domaines pour être vendus aux enchères publiques. Le produit de la vente est consigné pendant deux ans au profit des anciens occupants, puis versé au Trésor public si ces sommes n’ont pas été réclamées.
Pour les biens sans valeur marchande, l’article L433-3 du même code autorise leur destruction. Toutefois, cette qualification doit être établie avec prudence. Un procès-verbal de carence doit être dressé par l’huissier avant toute destruction, mentionnant explicitement l’absence de valeur des biens concernés.
Les documents personnels (papiers d’identité, diplômes, photos de famille) doivent faire l’objet d’un traitement particulier. Ils ne peuvent être détruits et doivent être conservés pendant un délai plus long ou remis aux services municipaux ou préfectoraux.
Responsabilité du propriétaire concernant les biens des squatteurs
Le propriétaire qui retrouve la jouissance de son bien immobilier doit être particulièrement vigilant quant au traitement des effets personnels laissés sur place. Sa responsabilité peut être engagée à plusieurs titres :
– Responsabilité civile : En cas de destruction ou détérioration des biens avant l’expiration du délai légal, le propriétaire peut être condamné à verser des dommages-intérêts correspondant à la valeur des biens détruits ou endommagés.
– Responsabilité pénale : La destruction volontaire du bien d’autrui constitue un délit puni par l’article 322-1 du Code pénal. Les peines peuvent atteindre deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.
La jurisprudence sanctionne sévèrement les propriétaires qui se font justice eux-mêmes. Dans un arrêt du 8 avril 2010, la Cour d’appel de Paris a condamné un propriétaire ayant jeté les affaires d’un squatteur à verser 5 000 euros de dommages-intérêts, estimant que « même illicite, l’occupation génère des droits pour l’occupant quant à ses biens personnels ».
Il est donc vivement conseillé de respecter scrupuleusement la procédure légale et de conserver toutes les preuves des démarches entreprises (inventaire, notifications, procès-verbaux) pour se prémunir contre d’éventuelles poursuites.
Remise en état et sécurisation du logement après expulsion
La récupération effective du logement ne marque pas la fin des démarches pour le propriétaire. La phase de remise en état et de sécurisation constitue une étape fondamentale pour prévenir une nouvelle occupation illicite et restaurer la valeur du bien immobilier.
Évaluation et chiffrage des dommages causés par l’occupation
Dès la reprise de possession, le propriétaire doit procéder à un état des lieux exhaustif pour documenter précisément l’étendue des dégradations éventuelles. Cette étape est déterminante pour :
- Établir la base d’une demande d’indemnisation devant les tribunaux
- Déclarer les sinistres auprès des compagnies d’assurance
- Planifier et budgétiser les travaux de rénovation nécessaires
Il est recommandé de faire appel à un expert en bâtiment ou à un huissier de justice pour dresser un constat contradictoire des dégradations. Ce document, qui fait foi jusqu’à preuve du contraire, détaillera :
– L’état des murs, sols et plafonds
– Les dommages aux équipements sanitaires et électriques
– Les problèmes structurels éventuels (infiltrations, moisissures)
– L’état des menuiseries et serrures
Sur la base de ce constat, des devis doivent être sollicités auprès de professionnels du bâtiment pour chiffrer précisément le coût des réparations. Ces documents constitueront des pièces essentielles pour la suite des procédures judiciaires et assurantielles.
Mesures de sécurisation immédiate contre une nouvelle occupation
La vulnérabilité d’un logement récemment squatté reste élevée dans les semaines suivant l’expulsion. Des mesures de sécurisation doivent être mises en œuvre sans délai :
– Changement des serrures et renforcement des accès (portes blindées, verrous multipoints)
– Installation de systèmes d’alarme ou de surveillance à distance
– Obturation temporaire des fenêtres facilement accessibles (volets métalliques, grilles)
– Mise en place d’une présence régulière (gardiennage, visites fréquentes)
Les technologies connectées offrent aujourd’hui des solutions efficaces pour surveiller un logement à distance : capteurs d’ouverture, caméras IP, détecteurs de présence alertant directement le propriétaire en cas d’intrusion. Ces dispositifs, dont le coût reste modéré au regard des risques encourus, peuvent constituer un investissement judicieux.
Pour les logements destinés à rester vacants pendant une période prolongée, des solutions de gardiennage temporaire existent. Des entreprises spécialisées proposent l’installation d’occupants temporaires (souvent des étudiants ou jeunes travailleurs) avec des contrats précaires spécifiques qui garantissent la libération rapide des lieux lorsque le propriétaire le souhaite.
Recours pour l’indemnisation des dommages
Face aux préjudices subis, plusieurs voies de recours s’offrent au propriétaire pour obtenir réparation :
L’action civile contre les squatteurs identifiés peut être engagée devant le tribunal judiciaire. Cette procédure vise à obtenir des dommages-intérêts correspondant :
– Au coût des réparations matérielles
– À la perte de jouissance du bien (loyers non perçus)
– Aux frais engagés pour l’expulsion (honoraires d’avocat, d’huissier)
La constitution de partie civile dans le cadre d’une procédure pénale pour violation de domicile permet également de solliciter réparation. Cette option présente l’avantage de bénéficier des moyens d’investigation de la justice pénale pour identifier et localiser les responsables.
La mobilisation des garanties d’assurance constitue souvent la voie la plus efficace pour obtenir une indemnisation rapide. Certaines polices d’assurance habitation ou propriétaire non occupant incluent des garanties spécifiques contre le vandalisme et les dégradations. Il convient de vérifier précisément les clauses du contrat et de déclarer le sinistre dans les délais impartis (généralement 5 jours ouvrés).
Une décision de justice récente de la Cour de cassation (Civ. 2e, 13 janvier 2022, n°20-17.516) a clarifié que les dommages causés par des squatteurs peuvent être pris en charge au titre de la garantie vandalisme, même en l’absence d’effraction caractérisée, dès lors que l’occupation était manifestement illicite.
Stratégies préventives et évolutions récentes du droit
Face à la problématique du squat, la prévention demeure l’approche la plus efficace. Les récentes évolutions législatives offrent un cadre juridique plus favorable aux propriétaires, mais la mise en œuvre de stratégies préventives reste fondamentale pour éviter les occupations illicites.
Dispositifs de surveillance et occupation temporaire préventive
Pour les logements vacants ou inoccupés pendant de longues périodes, plusieurs dispositifs peuvent être envisagés :
- La télésurveillance avec intervention sur alarme constitue une solution dissuasive
- Les contrats d’occupation temporaire permettent d’installer légalement des occupants transitoires
- Les visites régulières par des proches ou des professionnels de l’immobilier limitent les risques
Le développement des conventions d’occupation précaire offre une alternative intéressante. Encadrées par l’article 1709 du Code civil, ces conventions permettent de loger temporairement des personnes tout en conservant la possibilité de récupérer rapidement le bien. Des associations comme Camelot Europe ou Habitatio se sont spécialisées dans ce type de dispositifs, proposant l’installation de « gardiens » qui occupent légalement les lieux tout en assurant leur entretien.
La domotique et les objets connectés transforment également la surveillance des biens immobiliers. Des capteurs d’ouverture, de présence ou de consommation anormale d’eau ou d’électricité permettent de détecter rapidement toute intrusion. Certains systèmes envoient des alertes instantanées sur le smartphone du propriétaire et peuvent même déclencher automatiquement l’intervention d’une société de sécurité.
Évolutions législatives récentes et leur impact pratique
Le cadre juridique relatif aux squats a connu des évolutions majeures ces dernières années, renforçant considérablement la position des propriétaires :
La loi ASAP du 7 décembre 2020 a introduit plusieurs avancées significatives :
– Extension de la notion de domicile aux résidences secondaires
– Mise en place d’une procédure administrative accélérée
– Exclusion des squatteurs du bénéfice de la trêve hivernale
La loi anti-squat du 27 juillet 2023 a encore renforcé ce dispositif :
– Triple les peines encourues pour violation de domicile (3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende)
– Crée une nouvelle infraction d’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation
– Réduit les délais que le juge peut accorder aux occupants sans droit ni titre
– Élargit la procédure administrative d’évacuation forcée
Ces évolutions ont modifié l’équilibre entre droit de propriété et protection des occupants précaires. La jurisprudence récente témoigne de cette nouvelle orientation. Dans un arrêt du 16 mars 2023, la Cour d’appel de Paris a validé l’expulsion immédiate de squatteurs d’une résidence secondaire sans délai, reconnaissant le caractère « manifestement illicite » de l’occupation et écartant toute considération liée à la précarité des occupants.
Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme continue de veiller à ce que les procédures d’expulsion respectent certains principes fondamentaux, notamment le droit à un procès équitable et le respect de la vie privée et familiale. Dans l’arrêt Ivanova et Cherkezov c. Bulgarie (2016), elle a rappelé que toute mesure d’expulsion doit être proportionnée et tenir compte de la situation personnelle des occupants.
Collaborations avec les autorités locales et associations
La lutte contre le squat s’inscrit dans une approche territoriale qui implique différents acteurs :
Les collectivités locales disposent souvent de cellules de veille sur les logements vacants et peuvent orienter les propriétaires vers des dispositifs adaptés. Certaines municipalités ont mis en place des conventions avec les propriétaires de logements vacants pour faciliter leur mise à disposition temporaire à des publics en difficulté, tout en garantissant leur restitution.
Les forces de l’ordre peuvent être sensibilisées à la surveillance de biens inoccupés. L’Opération Tranquillité Vacances, initialement conçue pour les périodes de congés, peut être étendue à des absences plus longues sur demande motivée auprès des commissariats ou gendarmeries.
Les bailleurs sociaux ont développé des pratiques efficaces de prévention des squats dans leur parc immobilier, notamment par la pose de portes anti-squat ou la mise en place de systèmes de surveillance mutualisés. Ces bonnes pratiques peuvent inspirer les propriétaires privés confrontés à des problématiques similaires.
Des associations comme la FNAIM ou l’UNPI proposent à leurs adhérents des services de conseils juridiques et des contrats-types pour faciliter la mise en place de solutions d’occupation temporaire sécurisées. Ces organismes peuvent également orienter vers des prestataires spécialisés dans la sécurisation de biens vacants.
La coopération entre propriétaires d’un même quartier ou immeuble peut également s’avérer précieuse. La mise en place de systèmes de vigilance collective, facilités par les applications de voisinage comme Nextdoor, permet une détection précoce des tentatives d’occupation illicite.
Protection juridique du propriétaire et recours efficaces
Face à la complexité des procédures et aux risques financiers associés à un logement squatté, le propriétaire dispose de plusieurs mécanismes de protection et voies de recours pour défendre efficacement ses droits et limiter son préjudice.
Assurances spécifiques et garanties contre les squats
Le marché de l’assurance a développé des offres spécifiques pour répondre au risque d’occupation illicite :
- Les garanties protection juridique couvrent les frais de procédure d’expulsion
- Les assurances loyers impayés incluent parfois des extensions pour les occupations sans droit
- Des contrats spécifiques pour les logements vacants couvrent les dégradations par vandalisme
La garantie des risques locatifs, bien que principalement conçue pour les impayés, peut dans certains cas être activée pour les situations de maintien dans les lieux après résiliation du bail. Il convient de vérifier précisément les clauses du contrat et les exclusions éventuelles concernant les occupations illicites.
Certains assureurs proposent désormais des packs sécurité incluant à la fois une couverture assurantielle et des services de prévention (visites périodiques, télésurveillance). Ces formules, bien que plus onéreuses qu’une assurance classique, peuvent s’avérer pertinentes pour les biens particulièrement exposés au risque de squat.
La Fédération Française de l’Assurance a précisé dans une recommandation de 2022 que les dommages causés par des squatteurs peuvent relever de la garantie vandalisme, même en l’absence d’effraction caractérisée, ce qui constitue une avancée significative pour les propriétaires.
Indemnisation des préjudices financiers et moraux
Au-delà des dégradations matérielles, le propriétaire subit généralement un préjudice économique et parfois moral qui peut faire l’objet d’une demande d’indemnisation :
Le préjudice financier comprend :
– La perte de loyers pendant la période d’occupation illicite
– Les charges de copropriété et taxes supportées sans contrepartie
– Les frais de procédure non couverts par l’assurance
– Le coût des mesures de sécurisation post-expulsion
Le préjudice moral peut être reconnu par les tribunaux, notamment en cas :
– D’atteinte à un logement à forte valeur sentimentale (maison familiale)
– De stress prolongé et d’anxiété documentés médicalement
– D’impossibilité d’accéder à sa résidence principale ou secondaire
La jurisprudence récente tend à reconnaître plus largement ces préjudices. Dans un jugement du Tribunal judiciaire de Marseille du 12 octobre 2022, un propriétaire s’est vu accorder 15 000 euros au titre du préjudice moral, outre l’indemnisation des dégradations matérielles, le tribunal reconnaissant le « stress intense et prolongé » subi durant les 18 mois d’occupation illicite de sa résidence secondaire.
Pour maximiser les chances d’obtenir réparation, il est recommandé de :
– Documenter précisément chaque préjudice avec pièces justificatives
– Conserver toutes les traces des démarches entreprises
– Faire établir des attestations par des témoins ou professionnels de santé
Recours contre la carence des pouvoirs publics
Dans certaines situations, la responsabilité de l’État ou des collectivités territoriales peut être engagée :
Le refus du concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice définitive constitue une faute engageant la responsabilité de l’État. L’article L153-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit expressément que « l’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires ». Le propriétaire peut alors engager un recours indemnitaire devant le tribunal administratif.
La carence fautive d’une autorité administrative peut également être sanctionnée. Si le préfet n’a pas répondu à une demande formelle d’application de la procédure administrative d’évacuation dans les délais légaux, sa responsabilité peut être engagée. Le Conseil d’État, dans une décision du 3 février 2021, a confirmé que « l’inertie caractérisée de l’administration face à une demande d’évacuation fondée sur des dispositions légales claires constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État ».
Pour ces recours administratifs, il est généralement recommandé de :
– Adresser un recours préalable à l’autorité concernée
– Constituer un dossier solide documentant les préjudices subis
– Solliciter l’assistance d’un avocat spécialisé en droit administratif
Ces procédures, bien que parfois longues, peuvent aboutir à des indemnisations substantielles couvrant non seulement les loyers perdus mais aussi les frais engagés et parfois une part du préjudice moral.
La nouvelle loi anti-squat de 2023 renforce la responsabilité du préfet en fixant des délais contraignants pour répondre aux demandes d’évacuation administrative, ce qui devrait faciliter la mise en œuvre de ces recours en cas d’inaction.
