La médiation obligatoire contournée : analyse des sanctions procédurales en droit français

En France, la médiation s’impose progressivement comme un préalable incontournable dans de nombreux contentieux. Cette tendance s’inscrit dans une volonté de désengorger les tribunaux et de promouvoir des résolutions amiables des conflits. Toutefois, face à cette obligation nouvelle, certains justiciables tentent de contourner cette étape, soulevant ainsi la question des sanctions procédurales applicables. Ce phénomène interroge l’efficacité du dispositif et son articulation avec le droit fondamental d’accès au juge. Entre volonté de promouvoir les modes alternatifs de règlement des différends et nécessité de garantir l’effectivité de la justice, le législateur et les juges développent un arsenal de réponses face aux tentatives de contournement de la médiation obligatoire, redessinant ainsi les contours de notre procédure civile.

L’émergence de la médiation obligatoire dans le paysage juridique français

La médiation s’est progressivement imposée dans notre système juridique, passant d’une simple faculté à une véritable obligation préalable dans certains contentieux. Cette évolution traduit un changement profond dans l’approche du règlement des litiges par le législateur français.

Historiquement, la loi n° 95-125 du 8 février 1995 a d’abord instauré la médiation judiciaire, permettant au juge de désigner un médiateur avec l’accord des parties. Ce n’est que plus tard, avec la loi J21 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, que la médiation préalable obligatoire a véritablement fait son entrée dans notre droit. Cette loi a introduit l’expérimentation de la tentative de médiation familiale obligatoire avant toute saisine du juge aux affaires familiales pour les questions d’autorité parentale.

Le mouvement s’est accéléré avec la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui a généralisé la tentative de règlement amiable préalable obligatoire pour les litiges de faible montant et certains conflits de voisinage. L’article 750-1 du Code de procédure civile dispose désormais qu’à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à un conflit de voisinage.

Les domaines d’application de la médiation obligatoire

La médiation préalable obligatoire s’applique aujourd’hui dans plusieurs domaines :

  • Les litiges familiaux concernant l’exercice de l’autorité parentale
  • Les conflits de voisinage
  • Les demandes en paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros
  • Certains litiges administratifs, notamment en matière de fonction publique
  • Les litiges relevant du droit du travail dans certaines conditions

Cette extension progressive du champ d’application de la médiation obligatoire répond à une double préoccupation : désengorger les tribunaux saturés et promouvoir une justice plus consensuelle. La Cour de cassation a d’ailleurs reconnu la validité de ce dispositif, considérant dans un arrêt du 20 septembre 2018 que l’obligation de recourir à un mode alternatif de règlement des différends avant toute saisine du juge ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge, dès lors que cette obligation était limitée dans le temps et n’entraînait pas de coûts excessifs pour les parties.

Néanmoins, cette évolution suscite des résistances. Certains justiciables et leurs conseils perçoivent la médiation obligatoire comme une entrave à leur droit fondamental d’accès au juge, garanti par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette perception alimente des stratégies de contournement qui mettent à l’épreuve l’efficacité du dispositif et interrogent les sanctions applicables.

Les stratégies de contournement de la médiation obligatoire

Face à l’obligation de médiation préalable, différentes stratégies de contournement ont émergé dans la pratique judiciaire. Ces manœuvres procédurales illustrent la résistance de certains justiciables et avocats à l’égard d’un dispositif parfois perçu comme une simple formalité retardant l’accès au prétoire.

La première stratégie consiste à invoquer l’une des exceptions légales à l’obligation de médiation préalable. L’article 750-1 du Code de procédure civile prévoit en effet que cette obligation ne s’applique pas en cas de motif légitime, d’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable, ou lorsque le litige concerne un recours contre une décision administrative préalable. Certains demandeurs tentent d’élargir indûment ces exceptions, en alléguant par exemple un motif légitime sans réelle justification ou en exagérant l’indisponibilité des médiateurs.

Une deuxième approche vise à qualifier artificiellement le litige pour le faire sortir du champ d’application de la médiation obligatoire. Par exemple, dans un conflit dont l’enjeu financier est légèrement inférieur à 5 000 euros, le demandeur peut être tenté de majorer sa demande pour échapper à l’obligation de médiation préalable. De même, certains plaideurs requalifient des conflits de voisinage en litiges d’une autre nature juridique pour contourner l’exigence procédurale.

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Le formalisme détourné

Plus subtile, la stratégie du formalisme détourné consiste à initier une médiation sans réelle intention d’aboutir à un accord. Le justiciable se contente alors d’une démarche purement formelle :

  • Envoi d’une invitation à médier sans suivi réel
  • Participation passive à une séance unique de médiation
  • Refus systématique de toute proposition d’accord
  • Abandon prématuré du processus de médiation

Cette approche purement formelle vide la médiation de sa substance tout en permettant techniquement de respecter l’exigence légale. Les tribunaux sont de plus en plus vigilants face à ces comportements qu’ils qualifient parfois de déloyaux, comme l’a souligné le tribunal judiciaire de Paris dans une ordonnance du 4 février 2021.

Une autre tactique consiste à saisir directement le juge des référés, en arguant de l’urgence de la situation. L’article 750-1 du Code de procédure civile exclut en effet de son champ d’application les demandes présentées en référé ou à jour fixe. Cette voie procédurale est parfois utilisée abusivement pour contourner l’obligation de médiation préalable, même en l’absence d’une véritable urgence justifiant le recours au référé.

Enfin, certains justiciables tentent d’instrumentaliser les dispositions relatives à l’aide juridictionnelle. En invoquant des difficultés financières rendant impossible l’accès à la médiation, ils cherchent à faire reconnaître un motif légitime d’exemption. Cette stratégie se heurte toutefois à l’existence d’une aide juridictionnelle pour la médiation et à la vigilance croissante des magistrats face à ce type d’argument.

Ces différentes stratégies de contournement mettent en lumière les failles du système actuel et les résistances qu’il suscite. Elles appellent une réponse judiciaire adaptée pour garantir l’effectivité de la médiation obligatoire sans porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge.

Le régime juridique des sanctions procédurales

Face aux tentatives de contournement de la médiation obligatoire, le législateur français a établi un régime de sanctions procédurales dont l’irrecevabilité constitue la pierre angulaire. Ce régime s’articule autour de plusieurs dispositions légales et s’enrichit progressivement d’interprétations jurisprudentielles.

L’article 750-1 du Code de procédure civile pose clairement le principe selon lequel le non-respect de l’obligation de tentative préalable de médiation est sanctionné par l’irrecevabilité de la demande. Cette fin de non-recevoir présente plusieurs caractéristiques fondamentales : elle peut être prononcée d’office par le juge, sans que celui-ci soit tenu d’inviter préalablement les parties à régulariser leur situation. Cette possibilité de relevé d’office confère à la sanction une portée considérable, puisqu’elle ne dépend pas de la vigilance de la partie adverse.

La jurisprudence a précisé la nature de cette irrecevabilité. Dans un arrêt du 11 mars 2020, la Cour de cassation a confirmé qu’il s’agissait bien d’une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du Code de procédure civile, et non d’une simple nullité de forme. Cette qualification est déterminante car elle implique que le vice ne peut être couvert en cours d’instance : le demandeur qui n’a pas satisfait à l’obligation préalable ne peut régulariser sa situation une fois la procédure engagée.

La régularisation impossible en cours d’instance

Contrairement à certaines fins de non-recevoir qui peuvent être régularisées en cours d’instance (comme le défaut de qualité à agir), l’irrecevabilité pour défaut de médiation préalable ne peut être purgée une fois l’action introduite. Cette position, confirmée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 17 septembre 2020, renforce considérablement la portée dissuasive de la sanction.

Le demandeur dont l’action est déclarée irrecevable doit donc reprendre la procédure depuis le début, en respectant l’obligation préalable de médiation, avant d’introduire une nouvelle instance. Cette contrainte engendre des délais supplémentaires et des coûts additionnels qui incitent fortement les justiciables à respecter d’emblée l’obligation légale.

Toutefois, certaines décisions nuancent cette rigueur. Un arrêt de la cour d’appel de Douai du 4 février 2021 a considéré que l’irrecevabilité pouvait être écartée lorsque la partie défenderesse avait, par son comportement, rendu impossible toute tentative de médiation. Cette solution introduit une forme d’exception d’inexécution dans le régime des sanctions procédurales liées à la médiation obligatoire.

Au-delà de l’irrecevabilité, d’autres sanctions procédurales peuvent s’appliquer en cas de contournement de la médiation obligatoire. La condamnation aux dépens et le prononcé d’une amende civile pour procédure abusive constituent des leviers complémentaires dont disposent les juges. L’article 700 du Code de procédure civile permet en outre de condamner la partie qui contourne délibérément l’obligation de médiation préalable à verser à l’autre partie une indemnité au titre des frais irrépétibles.

Dans les cas les plus graves, lorsque la tentative de contournement s’accompagne de manœuvres frauduleuses ou dilatoires caractérisées, les tribunaux n’hésitent pas à prononcer des sanctions plus sévères. Un jugement du tribunal judiciaire de Nanterre du 15 octobre 2021 a ainsi condamné un justiciable à une amende civile de 3 000 euros pour avoir tenté de contourner l’obligation de médiation préalable par des manœuvres qualifiées d’abus de droit.

Ce régime de sanctions procédurales, en constante évolution, vise à garantir l’effectivité de la médiation obligatoire tout en préservant l’équilibre entre promotion des modes alternatifs de règlement des différends et droit d’accès au juge.

La jurisprudence face aux tentatives de contournement

L’analyse des décisions rendues par les juridictions françaises révèle une jurisprudence en construction, cherchant à établir un équilibre entre fermeté face aux contournements manifestes et souplesse dans l’interprétation des exceptions légitimes. Cette jurisprudence, encore fluctuante, dessine progressivement les contours du régime applicable.

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La Cour de cassation s’est prononcée sur plusieurs aspects du dispositif de médiation obligatoire. Dans un arrêt fondateur du 20 septembre 2018, la Haute juridiction a validé le principe même de l’obligation préalable, estimant qu’elle ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge garanti par l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette décision a posé les bases d’une interprétation stricte des tentatives de contournement.

Concernant la notion de « motif légitime » permettant de s’exonérer de l’obligation de médiation préalable, les juridictions du fond ont développé une casuistique nuancée. Un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 7 janvier 2021 a considéré que l’existence d’un conflit particulièrement intense entre les parties, rendant illusoire toute perspective d’accord, pouvait constituer un motif légitime. À l’inverse, la cour d’appel de Lyon, dans une décision du 12 mars 2021, a refusé de reconnaître comme motif légitime le simple fait que le défendeur ait préalablement rejeté une proposition amiable.

Les sanctions du formalisme détourné

Les tribunaux se montrent particulièrement vigilants face aux médiations de pure forme. Plusieurs décisions récentes sanctionnent les tentatives consistant à initier formellement une médiation sans réelle intention d’y participer de bonne foi :

  • Le tribunal judiciaire de Paris (4 février 2021) a déclaré irrecevable une demande où le demandeur avait envoyé une invitation à médier mais avait saisi le tribunal moins de deux semaines plus tard, sans attendre de réponse
  • La cour d’appel d’Aix-en-Provence (17 septembre 2020) a sanctionné un justiciable qui avait participé à une unique séance de médiation sans formuler aucune proposition concrète
  • Le tribunal judiciaire de Bordeaux (8 avril 2021) a considéré qu’une participation purement passive à la médiation équivalait à un contournement de l’obligation légale

Ces décisions marquent l’émergence d’une exigence de bonne foi procédurale dans la mise en œuvre de la médiation obligatoire. Les juges examinent désormais non seulement l’existence formelle d’une tentative de médiation, mais aussi la qualité et la sincérité de cette démarche.

Concernant le recours abusif à la procédure de référé pour contourner l’obligation de médiation préalable, la jurisprudence se montre de plus en plus sévère. Un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 23 juin 2021 a confirmé l’irrecevabilité d’une demande présentée en référé, estimant que l’urgence invoquée était artificielle et visait uniquement à éviter la phase de médiation obligatoire.

Les juridictions administratives développent parallèlement leur propre jurisprudence sur la médiation préalable obligatoire dans leur domaine de compétence. Le Conseil d’État, dans une décision du 17 juillet 2020, a adopté une approche similaire à celle de la Cour de cassation, validant le principe de la médiation préalable obligatoire tout en veillant à ce qu’elle ne constitue pas une entrave excessive au droit au recours.

Cette jurisprudence en construction, encore marquée par certaines divergences d’interprétation entre juridictions, tend néanmoins vers une affirmation croissante de l’effectivité de la médiation obligatoire. Les tribunaux cherchent à décourager les stratégies de contournement tout en préservant les cas légitimes d’exemption, dans une recherche d’équilibre entre promotion des modes alternatifs de règlement des différends et garantie du droit d’accès au juge.

Vers une efficacité renforcée du dispositif de médiation obligatoire

Pour répondre aux défis posés par les tentatives de contournement, plusieurs pistes d’amélioration du dispositif de médiation obligatoire se dessinent. Ces évolutions, déjà amorcées ou envisagées, visent à renforcer l’effectivité du mécanisme tout en préservant sa légitimité auprès des justiciables.

La première piste concerne la clarification des critères jurisprudentiels. Face à une jurisprudence encore fluctuante, la publication de circulaires interprétatives ou de guides de bonnes pratiques permettrait d’harmoniser l’application des sanctions procédurales. Le Ministère de la Justice a d’ailleurs engagé une réflexion en ce sens, avec la diffusion en janvier 2022 d’une note à destination des juridictions pour préciser les contours de la notion de « motif légitime » d’exemption et les critères d’appréciation de la sincérité des tentatives de médiation.

Une deuxième voie d’amélioration réside dans le renforcement de l’accompagnement des justiciables. L’expérience montre que les tentatives de contournement résultent souvent d’une méconnaissance des avantages de la médiation ou d’une perception négative de ce processus. Le développement d’actions d’information et de sensibilisation, notamment par le biais des Maisons de Justice et du Droit, pourrait contribuer à faire évoluer les mentalités et à réduire les résistances.

L’ajustement des sanctions procédurales

Une réflexion s’impose sur la gradation des sanctions procédurales. Le caractère binaire de l’irrecevabilité (la demande est recevable ou ne l’est pas) peut parfois sembler disproportionné face à certains manquements mineurs. Plusieurs propositions émergent :

  • L’instauration d’un mécanisme de sursis à statuer permettant la régularisation en cours d’instance dans certains cas spécifiques
  • La création d’une sanction intermédiaire sous forme d’amende civile proportionnée à la gravité du contournement
  • L’adoption d’un barème indicatif pour l’application de l’article 700 du Code de procédure civile en cas de contournement

Le rapport Agostini-Molfessis sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile, remis en 2021, suggère d’ailleurs d’enrichir la palette des sanctions procédurales pour mieux adapter la réponse judiciaire à la diversité des situations.

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L’amélioration du dispositif passe également par un renforcement des moyens alloués à la médiation. L’un des arguments fréquemment invoqués pour contourner l’obligation préalable est l’indisponibilité des médiateurs ou les délais excessifs pour obtenir un premier rendez-vous. Face à ce constat, plusieurs initiatives ont été lancées :

La formation accrue de médiateurs, notamment par le développement de diplômes universitaires spécialisés et la certification de nouveaux professionnels, contribue à étoffer le vivier disponible. La création de plateformes numériques de médiation permet de fluidifier l’accès aux services et de réduire les délais d’attente, comme l’illustre l’expérimentation menée depuis 2020 par le tribunal judiciaire de Paris. L’extension du bénéfice de l’aide juridictionnelle à la médiation, facilitée par le décret du 30 décembre 2020, vise à lever les obstacles financiers qui pouvaient justifier le contournement du dispositif.

Enfin, la réflexion porte sur l’élargissement progressif mais maîtrisé du champ d’application de la médiation obligatoire. L’article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, adopté en octobre 2021, prévoit la possibilité d’étendre par décret le champ des litiges soumis à tentative préalable de résolution amiable. Cette extension devra toutefois s’accompagner d’une évaluation rigoureuse de l’efficacité du dispositif et de son acceptabilité sociale.

Ces différentes pistes d’amélioration traduisent une volonté d’inscrire durablement la médiation obligatoire dans le paysage procédural français, en renforçant son effectivité face aux tentatives de contournement tout en préservant sa légitimité auprès des justiciables et des professionnels du droit.

Perspectives et enjeux pour l’avenir de la justice

L’évolution du régime des sanctions procédurales en matière de médiation obligatoire s’inscrit dans une transformation plus profonde de notre système judiciaire. Cette mutation soulève des questions fondamentales sur l’équilibre entre promotion des modes alternatifs de règlement des différends et préservation du droit d’accès au juge.

La tension entre ces deux impératifs constitue le cœur du débat actuel. D’un côté, le développement de la médiation obligatoire répond à des préoccupations légitimes : désengorger des tribunaux saturés, réduire les délais de justice, promouvoir des solutions consensuelles potentiellement plus durables. De l’autre, le risque existe de créer un obstacle supplémentaire à l’accès au juge, particulièrement préjudiciable aux justiciables les plus vulnérables.

Cette tension se reflète dans la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans l’arrêt Momčilović c. Croatie du 26 mars 2015, la Cour a reconnu la compatibilité de principe des médiations préalables obligatoires avec l’article 6§1 de la Convention, tout en soulignant que ces mécanismes ne doivent pas constituer un obstacle substantiel à l’accès au juge. Les critères dégagés par cette jurisprudence – proportionnalité du coût, raisonnabilité des délais, préservation d’un recours effectif – constituent un cadre que le système français doit respecter dans le développement de son régime de sanctions.

L’impact sur la culture juridique française

Au-delà des aspects techniques, l’enjeu est culturel. La France, héritière d’une forte tradition légaliste et juridictionnelle, doit opérer une transition vers une culture du dialogue et de la négociation. Cette évolution implique une transformation des mentalités chez tous les acteurs du système judiciaire :

  • Les avocats, formés traditionnellement au contentieux, doivent développer de nouvelles compétences en négociation et médiation
  • Les magistrats sont appelés à jouer un rôle différent, plus orienté vers l’incitation à la résolution amiable
  • Les justiciables eux-mêmes doivent évoluer d’une posture de revendication de droits vers une logique de recherche d’intérêts communs

Cette transformation culturelle est déjà engagée, comme en témoigne l’intégration croissante des modes alternatifs de règlement des différends dans la formation initiale des juristes. Les facultés de droit développent des enseignements spécifiques, et l’École Nationale de la Magistrature a renforcé la place de la médiation dans son programme de formation.

La question de l’évaluation du dispositif se pose avec acuité. Si les statistiques judiciaires montrent une diminution du nombre de certains contentieux soumis à médiation préalable obligatoire, l’interprétation de ces chiffres reste délicate. S’agit-il d’une véritable résolution amiable des conflits ou simplement d’un renoncement à l’action en justice face aux obstacles procéduraux ? Des études qualitatives approfondies seraient nécessaires pour mesurer l’impact réel du dispositif sur la pacification des relations sociales.

L’avenir de la médiation obligatoire et des sanctions applicables à son contournement s’inscrit dans une évolution plus large des modes de production du droit. Le modèle traditionnel, vertical et imposé, cède progressivement la place à un droit plus négocié, issu du dialogue entre les parties. Cette mutation correspond à une aspiration sociétale à plus d’horizontalité dans les rapports juridiques, mais elle soulève des questions sur la place de l’État et du juge comme garants de l’égalité devant la loi.

Dans ce contexte, le défi pour les années à venir sera de construire un système équilibré où la médiation obligatoire, soutenue par des sanctions procédurales adaptées, constitue une étape préalable constructive et non un obstacle à la justice. Cela suppose de maintenir une vigilance constante sur l’accessibilité du dispositif, sa qualité et son articulation avec le recours juridictionnel.

Les expériences étrangères, notamment canadiennes et néerlandaises, où la médiation préalable obligatoire est implantée de longue date, offrent des modèles inspirants. Ces systèmes ont su développer une approche nuancée des sanctions procédurales, alliant fermeté face aux contournements manifestes et souplesse dans l’appréciation des situations particulières.

En définitive, l’avenir de la médiation obligatoire en France et du régime de sanctions applicable à son contournement dépendra de notre capacité collective à intégrer cette innovation dans notre culture juridique sans renoncer aux garanties fondamentales d’accès à la justice qui constituent le socle de notre État de droit.

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